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INTERVIEW ACCORDÉE À SIMON MALLEY, DIRECTEUR D’AFRIQUE-ASIE, LES 23-24 AVRIL 1977

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UNE INTERVIEW DE VINGT HEURES AVEC FIDEL CASTRO

DANS LA NUIT du samedi 23 avril dernier, dans ma chambre de l'hôtel Habana Libre, le héros légendaire de la Sierra Maestra m'a donné l’accolade : « Camarade, m'a-t-il dit, le visage sain et vigoureux illuminé par un large sourire, soyez le bienvenu parmi nous. Il y a longtemps que nous vous attendions ». Alors a commencé l'une des interviews-marathon les plus fascinantes de mes trente ans de métier.

A La Havane, à mon hôtel, dans le bureau de Fidel Castro, au Comité central du Parti communiste, dans les voitures et les jeeps qui nous conduisaient à l’aéroport, à l’intérieur du pays, dans l'avion qui nous conduisait dans la région de Trinidad, la discussion s'est poursuivie sans relâche. Fidel Castro a abordé d'innombrables questions nationales et internationales. Il m’a parlé de tout, avec la sincérité et l'esprit loyal d'un camarade qui bavarde avec un autre camarade, avec cette conviction profonde et contagieuse qui reflète un engagement total, lucide et sincère.

Fidel m’a parlé de sa visite en Afrique, de ses conversations avec El Kadaffi, Boumediene, Nyerere, Samora Ma­chel, Agostinho Neto, Siad Barre, Mengistu Hailé Mariam, Ali Salem Robaya et les leaders révolutionnaires du Zimbabwe, de Namibie et d'Afrique du Sud. Il a rappelé les objectifs du voyage de quarante jours effectué récemment en Afrique du Nord et au Sud du Sahara, ainsi que les résultats obtenus. Il s’est référé aux complots ourdis contre l’indépendance et la souveraineté nationale des pays progressistes et révolutionnaires, à l'insurrection armée au Zaïre, aux menaces qui pèsent sur l'Angola, à la signification et aux perspectives de la politique internationaliste de Cuba, ainsi qu'à la campagne de mensonges et de calomnies orchestrée par l'impérialisme et le néo-colonialisme contre son pays. Il a aussi insisté sur le véritable rôle joué par les techniciens et les combattants révolutionnaires cubains pour soutenir et consolider l’indépendance et les régimes populaires et anti-impérialistes du continent africain ; sur l'agression perpétrée par le Maroc contre le Sahara et sur l’intervention franco-marocaine visant à mettre fin à la lutte des rebelles zaïrois ; sur les plans et les desseins de l'impérialisme nord-américain et français en vue de freiner l'essor révolutionnaire en Afrique ; sur la signification et la portée de la révolution éthiopienne...

Il m’a fait part de son espoir personnel de voir se constituer un véritable front anti-impérialiste en Afrique, et s’établir une entente fondamentale entre l'Éthiopie et la Somalie pour faire face à l’alliance antipopulaire de la réaction arabe et africaine. Il a aussi parlé de la lutte héroïque du peuple palestinien et de la résistance que celui-ci oppose aux plans engendrés pour liquider sa révolution.

Fidel m'a fait un compte rendu de l’évolution de la situation entre les Etats-Unis et Cuba ; il a rappelé avec luxe de détails la crise des Caraïbes d'octobre 1962 (connue sous le nom de crise des fusées) et comment la menace nucléaire qui pesait sur Cuba put être évitée. Il a également parlé de l'essor du fascisme en Amérique latine, des événements qui se produisent en Chine populaire, et en particulier de la trahison des dirigeants politiques de ce pays.

Pendant plus de vingt heures d'explications, d'analyses et de commentaires, presque tous les problèmes ont été abordés. Il ne s’est pas agi d'un monologue, mais d’une véritable discussion, profonde et détaillée, où aucune question n'a été éludée, où aucune réponse n’a été ambiguë, et où il n'y a eu aucune réaction superficielle.

Cette figure impressionnante, ce personnage célèbre qui a symbolisé la lutte immortelle de tout un peuple contre la tyrannie qui l'opprimait, contre la dictature qui l'écrasait, a marqué incontestablement l'histoire du tiers monde, livré au pillage et à la misère provoquée par l'impérialisme, le colonialisme et le racisme.

Alors, j’ai demandé à Fidel Castro : Pourquoi cet intérêt particulier pour l'Afrique ?

L'Afrique, m'a répondu Fidel, est aujourd’hui le maillon le plus faible de l'impérialisme. Elle a été le théâtre des crimes les plus graves commis contre les peuples au cours de ces derniers siècles. Il existe là-bas d'excellentes perspectives permettant de passer pratiquement du tribalisme au socialisme sans avoir à traverser certaines étapes, comme ont eu à le faire d'autres régions du monde. Si nous sommes des militants révolutionnaires, nous avons le devoir de soutenir la lutte anti-impérialiste, antiraciste et anti-néo-colonialiste.

L'Afrique revêt aujourd'hui une grande importance. La domination impérialiste n'y est pas aussi forte qu'en Amérique latine, Par conséquent, les possibilités de la révolution sur le continent africain sont réelles. S'il y a essor du fascisme en Amérique latine, c'est parce que celui-ci constitue le dernier recours pour empêcher le triomphe du socialisme.

La lutte est encore très difficile en Amérique latine, parce que la bourgeoisie domine tout: l’économie, les universités, la presse, tous les secteurs de la vie nationale. Ce phénomène ne se produit pas réellement en Afrique, où il n'y a pas de bourgeoisie à proprement parler. Que sont devenus aujour­d'hui l'Uruguay et le Chili, considérés auparavant comme les Suisses d'Amérique ? Des bastions du fascisme !

LE VOYAGE EN AFRIQUE

Lorsque j’ai demandé à Fidel quels étaient les véritables objectifs et les résultats concrets du voyage de quarante jours qu'il venait d'effectuer en Afrique, il m’a répondu :

Je dois avouer que je m'intéressais au processus révolutionnaire en marche en Libye. Depuis longtemps, depuis que la Libye démantela les bases anglo-nord-américaines installées sur son territoire et qu’elle nationalisa le pétrole, ce processus me semblait intéressant. J'estimais qu’il s'agissait d’un processus progressiste. Par conséquent, je m'intéressais à ce processus et, de plus, nous souhaitions améliorer nos relations avec la Libye. Lorsqu'on m'a invité à assister à l’inauguration du Congrès général du peuple libyen, j'ai cru bon d'accepter et de profiter de cette invitation pour connaître le pays, son peuple et ses dirigeants, et pour resserrer nos liens. Cet élé­ment a déterminé la date du voyage. Depuis longtemps, je m’étais engagé aussi à visiter le Yémen, la Somalie et d'autres pays de la région. Bien entendu, je souhaitais aussi visiter la Tanzanie et le Mozambique et, évidemment, un voyage en Afrique m'imposait le devoir moral et politique de visiter l'Angola, de revoir le président Agostinho Neto, ce dirigeant révolutionnaire qui a suscité l'admiration et le respect de son peuple et du monde entier, puisqu'il est le symbole de la lutte historique et mémorable d’un peuple uni dans sa lutte de libération contre les forces de l'agression contre-révolutionnaire, raciste et impérialiste. C'est toujours avec joie que je rencontre le camarade de combat qu'est Agostinho Neto, avec lequel les discussions se caractérisent par un véritable esprit de militantisme révolutionnaire.

Au début je ne pensais pas me rendre en Éthiopie. Toutefois, les événements du 3 février et la solution révolutionnaire apportée aux contradictions entre la droite et la gauche éthiopiennes, avec Mengistu à la tête du commandement de la révolution, nous avaient incités à envoyer une délégation pour rentrer en contact avec l'Éthiopie. C'est ainsi que, durant le voyage, j’ai inclus l’Éthiopie au programme. Nous souhaitions avoir une image de la situation globale en Afrique et de la marche du mouvement révolutionnaire en Afrique australe ; analyser aussi le développement de notre coopération avec tous ces pays ; voir les nombreux techniciens de notre pays qui, faisant preuve d'un grand esprit de sacrifice, travaillent dans ces pays si lointains de Cuba, seuls, sans leur famille, durant des périodes souvent prolongées. Je tenais à voir comment ils travaillent, à les saluer et à les encourager dans l'effort internationaliste et révolutionnaire qu'ils fournissent. Que pourrais-je ajouter de plus ? J'ai profité de cette occasion pour visiter l'Algérie et m'entretenir avec le camarade Boumediene, pour lequel j'ai beaucoup d'estime et de respect, et avec lequel nous maintenons, ainsi qu'avec son peuple et son gouvernement, d’excellentes relations. Malheureusement, faute de temps, je n’ai pu répondre à d’autres invitations, comme celles reçues des dirigeants de Madagascar, de Zambie et du Bénin, qui m'avaient adressé des invitations très amicales et très chaleureuses. Cette fois, je n'ai pu rendre visite non plus à mon grand ami Ahmed Sékou Touré et à nos amis de Sao Tomé, de Guinée-Bissau et du Cap Vert, avec lesquels nous entretenons de magnifiques relations. En réalité, je souhaitais voir quelle était la situation socio-économique des pays africains, dans quel état les avait laissés le colonialisme, surtout en Afrique noire. J'ai pu constater que la réalité dépassait ce que nous pouvons lire dans les livres.

KADAFFI : UNE POSITION ANTI-IMPÉRIALISTE SOLIDE ET POSITIVE

À propos de ses rencontres avec El Kadaffi, Fidel a dé­claré :

La position anti-impérialiste du président Kadaffi est solide et positive. Kadaffi comprend parfaitement les événements qui se produisent en Afrique et dans le monde arabe et qui menacent la stabilité des régimes progressistes et révolutionnaires. Il est conscient des menaces de la réaction arabe contre des pays comme l’Éthiopie. Nous avons eu avec lui de longs entretiens qui nous ont permis de poser des bases solides à notre amitié et qui permettront de resserrer encore les liens entre la Libye et Cuba. L'opposition de Kadaffi à la réaction arabe, aussi bien en ce qui concerne les manœuvres ourdies contre la révolution en Afrique que contre les forces révolutionnaires arabes, est réelle et profonde, de même que ses critiques contre la politique de génocide pratiquée au Liban contre les Palestiniens.

Le Mozambique est le pays de la « ligne du Front » le plus menacé par les agressions rhodésiennes. Que pensez-vous de votre rencontre avec Samora Machel ?

Le processus dans lequel s'est engagé le FRELIMO est véritablement révolutionnaire. Le FRELIMO est incontestablement une organisation très révolutionnaire, très sérieuse, qui travaille avec décision pour l'instauration du socialisme. Samora Machel possède une très forte personnalité et jouit d'un prestige considérable, parce qu'il est non seulement intimement lié à son peuple, mais aussi parce qu'il a réussi à faire participer celui-ci à l'édification du socialisme. C'est un dirigeant extraordinaire, doté d’une immense capacité pour unir le peuple et se lier aux masses populaires. Et je ne parle jamais de cette façon par simple courtoisie diplomatique. Je suis fermement convaincu que Samora Machel est un homme qui possède une vision particulièrement claire, et ma visite au Mozambique m’a permis de constater à quel point le peuple, le parti et le gouvernement du Mozambique sont décidés à mener à bien une politique conséquente et ferme pour édifier le socialisme et lutter par tous les moyens possibles contre la domination néocoloniale, raciste, fasciste et impérialiste en Afrique australe. Le soutien qu'apporte le Mozambique, dans le cadre du front des cinq pays de la première ligne, au peuple du Zimbabwe, pour que celui-ci se libère de la domination des racistes de Salisbury, représente une contribution considérable à la libération de l'Afrique australe.

J'estime que la lutte contre le colonialisme le fascisme et le racisme en Afrique australe est le problème le plus important, le plus grave, le défi le plus formidable que doit relever l'Afrique, et plus spécialement l'Afrique noire. II ne fait aucun doute que cette lutte sera dure et longue. Et l'autre problème grave est le fléau du néo-colonialisme. Mais il y a aussi le problème général du sous-développement légué par le colonialisme. Il s'agit là d’un problème extrêmement épineux, dont les conséquences sont terribles, car il faut résoudre les problèmes de la santé, de l'éducation, et améliorer les conditions de vie matérielle les peuples africains.

De là aussi, notre position par rapport aux événements survenus récemment au Zaïre.

Insistant sur les impressions que lui ont laissées ses conversations avec le chef d'État algérien, Fidel Castro a signalé :

J'ai été très impressionné par mon entretien avec le président Boumediene. J'estime qu'il s'agit d'un dirigeant exceptionnel, sage, aux idées profondes, qui connaît parfaitement les problèmes de son pays. Il est parfaitement conscient de la nécessité de préparer son pays pour l'avenir, grâce aux institutions politiques mises en place, au parti qu’il veille à consolider et à renforcer, et à la prise de conscience d’un peuple qui renferme d’immenses ressources révolutionnaires. Il s’agit d'un peuple qui a lutté les armes à la main pour vaincre un des impérialismes les plus violents de notre histoire. Le prestige que le président Boumediene a acquis auprès de la population, la popularité qu'il s'est gagnée parmi les masses algériennes est un des nombreux facteurs qui militent en faveur de la solidité du régime qu'il préside.

UN PROBLÈME PUREMENT INTERNE

Lorsque j’'ai abordé avec Fidel Castro le problème de l'insurrection armée qui a éclaté au Zaïre et des accusations fallacieuses que les dirigeants, et la presse d'Occident ont portées contre Cuba, celui-ci a réagi énergiquement :

Je n'ai pas besoin de vous le dire puisque vous le savez : ces événements constituent un problème purement interne. Lorsque nous déclinons toute participation, ce n’est pas parce que nous cherchons à masquer une action révolutionnaire. Nous ne pratiquons pas la politique du mensonge, de la duplicité ou de la tromperie. Le mensonge a toujours été la victoire du moment et la défaite du lendemain. Quoi que nous fassions, nous avons pour habitude d’assumer nos responsabilités. Et nous estimons qu'il est très important d'éviter, entre les pays de l’Afrique noire, des conflits qui pourraient détourner l'attention de la lutte sur le front principal qui est, je le répète, le colonialisme, le néo-colonialisme, le fascisme, le racisme et la réaction en Afrique méridionale. Seuls l'impérialisme et le néo-colonialisme peuvent tirer parti de ce genre de conflit. Aussi espérions-nous qu'après la seconde guerre de libération de l’Angola, les relations entre les deux pays s'amélioreraient, indépendamment des différences existant au niveau des gouvernements et de l’idéologie politique, tout en sachant qu'il y a au Zaïre un gouvernement néocolonial, réactionnaire et répressif qui a participé criminellement à la guerre contre l'Angola, de connivence avec les racistes sud-africains, et qui encourage les activités terroristes contre ce pays, à partir de son territoire. Nous l'espérions d'autant plus que ces deux pays limitrophes doivent coopérer en ce qui concerne la navigation sur le fleuve Congo, voie d'accès pour le Zaïre qui traverse le territoire angolais, et en ce qui concerne la principale voie ferrée traditionnellement empruntée pour l'exportation des produits zaïrois, qui traverse aussi le territoire angolais. Nous considérions qu'après l'écrasante défaite essuyée en Angola à la suite de son intervention, le gouvernement du Zaïre adopterait une politique plus correcte en ce sens, politique en faveur de laquelle a travaillé le gouvernement angolais en dépit de l'hostilité du gouvernement zaïrois.

L'IMPÉRIALISME A DÛ INTERVENIR POUR SAUVER MOBUTU

J'ai fait remarquer à Fidel que la même campagne de calomnies prétendait que les combattants cubains en Angola avaient participé à l’entraînement et à l’équipement des forces révolutionnaires à Shaba. A ce sujet, il a déclaré :

A la fin de la guerre, et en dépit des positions du Zaïre, nous avons veillé à n'encourager aucun mouvement interne contre ce gouvernement. Par ailleurs, l’Angola n'est pas un territoire cubain.

Notre présence dans ce pays obéit à un principe strictement internationaliste et jouit de l’accord total du gouvernement angolais. Nous respectons totalement la souveraineté angolaise. Par conséquent, nous n'avions aucunement le droit d’utiliser le territoire angolais pour préparer une action contre un autre gouvernement d’Afrique noire, aussi réactionnaire soit-il. Pour toutes ces raisons, et bien que des citoyens zaïrois de Shaba aient participé à la seconde guerre de libération aux côtés du MPLA, nous n’avons pratiquement maintenu aucun contact avec ces citoyens du Zaïre après la guerre. La vérité rigoureuse et stricte est que nous n'avons participé ni à l'entraînement ni à l'équipement des forces révolutionnaires qui ont entrepris la lutte à Shaba. Qui plus est, nous ignorions complètement que ces événements allaient se produire. Naturellement, nous ne pratiquons pas l'espionnage ni parmi les révolutionnaires zaïrois ni en Angola.

En dépit de cette réalité, Mobutu ne se lasse pas de répéter que les Cubains ont participé à ces événements. Nous comprenons parfaitement qu’il a agi de la sorte en raison d'une situation interne désespérée, tant sur le plan politique qu'économique et social, et pour justifier sa demande d’aide impérialiste. Voilà la situation honteuse dans laquelle est plongé le gouvernement du Zaïre, qui a dû réclamer l'intervention de troupes étrangères pour réprimer un soulèvement interne. Cela prouve à quel point l'armée du Zaïre est démoralisée. L'impérialisme a dû intervenir pour sauver Mobutu. Or, depuis son intervention en Angola, Mobutu connaît l'esprit de lutte des combattants angolais et cubains. S'il y avait eu des combattants angolais et cubains à Shaba, comme Mobutu l'a affirmé mensongèrement, il n'y aurait déjà plus un seul soldat de Mobutu ni un seul soldat du roi Hassan dans cette province. Nous avons lutté contre les racistes sud-africains, qui sont les principaux ennemis de l'Afrique noire, et cela représente un honneur pour nos soldats. Par contre, nous veillerons toujours à éviter des conflits entre les peupler d’Afrique.

Il est clair, comme je viens de l’expliquer, que les événements du Zaïre constituent un problème strictement interne. Il s'agit d'un soulèvement populaire armé contre un des régimes les plus répressifs et les plus néo-colonialistes d'Afrique. Quel que soit le dénouement des événements actuels, je suis convaincu que le peuple zaïrois poursuivra sa lutte nationale jusqu'au jour où il parviendra à se libérer du régime de l'oppression, de l'exploitation néocoloniale et de l'arbitraire. Je dois répéter une fois de plus que, pour les raisons que j'ai déjà expliquées, nous n’avons participé en aucune manière, en aucune façon, à ce problème strictement interne du Zaïre ; que nous n’avons participé ni à l'entraînement, ni à l’équipement, ni à la formation de cadres militaires, ni à l'armement des forces insurgées qui ont entrepris la lutte à Shaba. Que cela soit clair ! Que cela soit bien clair ! Que cela ne fasse l'objet d'aucun doute !

Les puissances impérialistes réalisent des plans, conjointement avec les interventionnistes marocains et les troupes zaïroises, pour mettre en pratique le soi-disant « droit de persécution » contre les révolutionnaires, cherchant ainsi à justifier une agression contre le territoire national angolais. Qu'en pensez-vous ?

Nous n'ignorons pas l’existence de ces plans, mais nous tenons à affirmer avec toute notre énergie que si ces forces agressives osent attaquer l’Angola, sous n'importe quel prétexte, elles n'oublieront jamais l'amère leçon qu'elles en tireront, l'écrasante et inévitable défaite qu'elles essuieront. Nous resterons en Angola le temps nécessaire, d'accord avec le gouvernement souverain de ce pays frère, afin de contribuer à la défense du pays et à la consolidation de son indépendance face à toute menace d’agression, d'où qu'elle vienne.

AVERTISSEMENT À LA FRANCE ET À LA BELGIQUE

Après le soulèvement populaire zaïrois et l'intervention militaire franco-marocaine, qui pourraient servir de prétexte aux agresseurs zaïrois et à leurs complices pour porter là guerre jusqu’aux frontières angolaises, la diplomatie cubaine n’est pas restée inactive. En Europe, elle a averti les gouvernements français et belge de la « gravité de la situation si, à un moment donné, les événements du Zaïre en arrivaient à servir de prétexte à une agression contre l'Angola ». Dans des conversations diplomatiques, il a été établi clairement que le Parti, le gouvernement et le peuple cubains ne renonceraient jamais aux responsabilités qu’ils ont acquises vis-à-vis de l'Angola. Au cours de ces entretiens, le gouvernement cubain a agi selon un principe fondamental que Fidel Castro m’a précisé depuis le début de notre interview : une attaque contre l’Angola serait considérée comme une attaque contre Cuba. A ce sujet, Fidel a signalé :

Aussi bien les Nord-Américains que Mobutu, Hassan et Giscard d'Estaing savent parfaitement que Cuba n'a participé en aucune façon aux événements du Zaïre.

Toute cette propagande ne constitue qu'un prétexte grossier pour justifier l’intervention criminelle dans les affaires intérieures du Zaïre, pour maintenir un des gouvernements les plus corrompus, les plus réactionnaires et les plus répressifs d'Afrique. Mobutu est l’assassin de Lumumba et l’assassin de Mulele, qu'il arrêta et fit exécuter traîtreusement, après l'avoir attiré vers les frontières du fleuve Congo pour un entretien. Comme tout le monde le sait, Mobutu est un des hommes les plus riches du monde, grâce aux centaines de millions de dollars qu'il a volés et déposés ensuite dans des banques étrangères.

Nous suivons une politique de principes dans notre action internationale. Nous ne pratiquons pas une politique mensongère. Nous savons parfaitement que Mobutu et l'impérialisme français, ainsi que les racistes sud-africains, agissent de connivence.

Le peuple angolais a besoin de la paix pour reconstruire et développer son pays. Toute agression contre l'Angola recevra une réponse énergique. A nos yeux, toute attaque contre l'Angola équivaudra à une attaque contre Cuba. Nous défendrons ce pays avec tous les moyens à notre portée.

L’ÉTHIOPIE : UNE VÉRITABLE RÉVOLUTION

La discussion avec Fidel a également porté sur l’évolution da la situation en Éthiopie. Je ne lui ai pas caché les inquiétudes qu'éprouve actuellement une bonne partie de l’opinion mondiale progressiste et révolutionnaire quant au caractère et à la portée des événements que connaît ce pays depuis le renversement d'Hailé Sélassié et la prise du pouvoir par le Comité administratif militaire provisoire. J’ai émis l'opinion selon laquelle les nombreux affrontements qui se sont produits en Éthiopie ces derniers temps, de même que la pénurie, la confusion et le caractère contradictoire des diverses informations reçues, suscitent de nombreuses questions. On se demande en particulier s’il s'agit d'une simple lutte pour le pouvoir, « comme nos journaux l’ont fréquemment écrit », ou d'un véritable processus révolutionnaire. Com­me Fidel venait de visiter l'Éthiopie et de rencontrer ses dirigeants, en particulier Mengistu, je lui ai demandé quelle idée il se faisait de ces événements,

Voici quelle a été sa réponse :

Il y a en Éthiopie une révolution profonde, un mouvement de masse puissant, une réforme agraire radicale, dans un pays féodal où les paysans étaient pratiquement des esclaves.

La réforme urbaine a déjà été effectuée et les principales industries du pays ont été nationalisées. A mon avis, la révolution éthiopienne réunit des caractéristiques propres à la Révolution française et à la Révolution bolchevique, car les dirigeants ont entamé une révolution antiféodale tout en œuvrant pour le socialisme. La situation rappelle tout à la fois les Révolutions française et bolchevique, en raison de la lutte de classes intense qui oppose les ouvriers et les paysans, d’une part, et les propriétaires terriens et bourgeois, d’autre part ; de plus ce pays est aujourd'hui aux prises avec une agression criminelle menée depuis l'extérieur par la réaction arabe, de connivence avec l'impérialisme. Les événements du 3 février dernier ont été décisifs. C'est à ce moment-là que la gauche et les authentiques dirigeants de la révolution ont assumé le pouvoir, et que le processus s'est engagé dans une voie profondément révolutionnaire.

Je peux affirmer que j'ai bien connu Mengistu. C'est un homme serein, intelligent, audacieux, courageux, et j'estime qu'il réunit des qualités exceptionnelles de dirigeant révolutionnaire.

Bien que la révolution éthiopienne ait affaire à des ennemis dangereux, le peuple est fermement décidé à lutter, et aucune révolution authentique ne peut facilement être vaincue. Nous estimons que le succès et la consolidation de la révolution éthiopienne revêtent une importance considérable

Laissez-moi vous répéter une dernière fois que Mengistu est, à mon avis, un véritable révolutionnaire, et que la révolution qui a lieu en Éthiopie, à l'heure actuelle, est une véritable révolution.

Il est évident que la situation de l’Éthiopie est délicate et difficile, comme l’a très bien expliqué Fidel Castro. On sait que les Nord-Américains se refusent à envoyer des pièces de rechange à l'armée éthiopienne, qui avait été largement équipée par Washington, sous le gouvernement d'Haïlé Sélassié et de ses successeurs, jusqu'au 3 février dernier. Ce refus engendre des problèmes que certains pays socialistes et progressistes essaient de résoudre, étant donné que la réaction arabe appuie de plus en plus systématiquement les adversaires féodaux du régime de Mengistu. Toutefois, il se pose un problème encore plus délicat qui peut entraver davantage le processus entamé par Mengistu : celui des relations difficiles entre la Somalie et l'Éthiopie, deux pays dont la solidarité s'impose face à l'impérialisme et à la réaction arabe. La question est donc de savoir s’il existe ou pourrait exister une base quelconque de compréhension et d'entente entre Addis-Abeba et Mogadiscio.

La situation qui règne en Érythrée, à Ogaden et à Djibouti pose de nombreux problèmes en ce qui concerne les relations entre les deux pays voisins. Que faut-il faire pour jeter les bases d’un modus vivendi qui permettrait aux deux pays d'affronter les complots de l'impérialisme et de la réaction arabe, et de créer un front homogène, dynamique et vigoureux, susceptible de tenir tête aux manœuvres de régimes comme ceux du Soudan, de l’Égypte et de l'Arabie Séoudite, qui n'hésitent pas à parler d'une alliance anticommuniste destinée à déstabiliser les régimes progressistes et révolutionnaires implantés dans la région. Au moment où Mengistu adopte des mesures positives contre les intérêts stratégiques et économiques nord-américains et européens installés dans son pays, au moment où l'alliance soudano-égypto-séoudite appuie fermement les forces réactionnaires éthiopiennes représentées par l'UDE et essaie d’imposer en Érythrée la suprématie des mouvements nationalistes de droite, au moment où le risque d'implantation d’un régime néocolonial se précise à Djibouti, la solidarité d'Addis-Abeba et de Mogadiscio acquiert une signification radicalement nouvelle. Et il semble qu'il s'agit là d’un des objectifs poursuivis inlassablement par Fidel Castro lors de son voyage en Éthiopie, en Somalie et au Yémen du Sud.

Selon des informations recueillies auprès de sources diplomatiques d'Éthiopie et de Somalie, une petite conférence au sommet a réuni à Aden Siad Barre, Mengistu, Robaya et Fidel Castro ; l'objectif de cette réunion était de faire échouer les desseins de l'impérialisme et de la réaction arabe.

L'éventualité de la création d’une fédération ou confédération réunissant la Somalie, l'Éthiopie, l’Érythrée, Ogaden et peut-être même Djibouti a été longuement discutée, analysée et méditée, compte tenu du fait que l’essentiel est d’éviter par tous les moyens que les machinations, les manœuvres et les conspirations de l'impérialisme occidental et, en particulier, de l'impérialisme nord-américain, allié à là réaction arabe, réussissent à entretenir les tensions entre des régimes essentiellement anti-impérialistes.

Il est également essentiel d'empêcher que le chauvinisme, le nationalisme étroit, la démagogie puissent se convertir en obstacles à la réalisation de l'objectif principal : l'union de toutes les forces révolutionnaires de la région. Comme me l'a dit Fidel Castro, « la grande solution de l'humanité, c'est l'élimination des frontières existant entre tous les pays du mondes ».

UNE LUTTE PLUS ÉNERGIQUE QUE JAMAIS, LES ARMES À LA MAIN

J'ai également rappelé à Fidel que certains dirigeants africains, comme Sékou Touré, Houari Boumediène, Agostinho Neto, Samora Machel et autres, avaient précisément lancé un appel en faveur de la création d'un front anti-impérialiste en Afrique en vue de triompher de l'ennemi commun et d'établir une solidarité complète. Il m’a immédiatement répondu :

J'estime que les camarades révolutionnaires africains ont tout à fait raison et que la création de ce front anti-impérialiste constitue un élément indispensable.

J’ai fait remarquer à Fidel que dans le plaidoyer qu’il prononça le 16 octobre 1953 devant le tribunal qui le jugeait pour avoir dirigé, le 26 juillet de cette même année, l'attaque de la caserne Moncada — l'événement qui devait marquer le début de l'insurrection contre la tyrannie de Ba­tista —, il avait notamment déclaré qu' « un peuple soumis à l'injustice et à l’arbitraire a le droit inaliénable de s'insurger ».

Je lui ai demandé s'il n’estimait pas que les événements actuels du Zimbabwe, de la Namibie, de l’Afrique du Sud, du Sahara, de la Palestine et du Zaïre étaient la matérialisation de ce principe. Le leader cubain m’a répondu :

Seule la poursuite de la lutte armée du peuple du Zimbabwe pourra créer la force et la mobilisation nécessaires en vue de vaincre les racistes rhodésiens et d'assurer une véritable indépendance nationale. Je ne crois pas que les solutions pacifiques ou diplomatiques puissent pousser les racistes rhodésiens et leurs alliés à renoncer au maintien de leur régime. L'union de tous les révolutionnaires du Zimbabwe constitue la condition essentielle de leur victoire et de la réalisation de leur objectif : empêcher qu'un régime néocolonial soit imposé au pays.

La libération du Zimbabwe, de l'Afrique du Sud, de la Namibie ne s'obtiendra pas sans lutte, une lutte plus énergique que jamais, les armes à la main, qui apportera la liberté et la dignité à ces peuples opprimés par le colonialisme, le fascisme et le racisme. Il ne faut pas oublier que l'infime minorité raciste qui opprime ces peuples ne se résignera jamais à la libération de ceux-ci, par la voie diplomatique ou pacifique.

En ce qui concerne la Palestine, Fidel Castro a déclaré :

Mon voyage à Moscou a coïncidé avec celui d’Arafat. Comme nous entretenons de magnifiques relations avec l’OLP, j'ai eu des conversations avec lui. Il m'a parlé du déroulement du Conseil palestinien qui a eu lieu au Caire. L'opinion que j'ai recueillie auprès de dirigeants palestiniens et d'Arafat lui-même est que cette réunion a été couronnée de succès, que l'unité de l’OLP en a été consolidée, et que l'on a tracé la ligne que suivra la lutte au cours des prochaines années. Le mouvement palestinien s’en est trouvé renforcé. Arafat m’a expliqué à grands traits les événements du Liban, la lutte livrée dans ce pays par les Palestiniens en vue de défendre la Révolution et d'assurer sa survie. Il m'a dit que des milliers de combattants palestiniens y ont trouvé la mort. Il s'agit de faits tristes et douloureux. Malgré tout, le mouvement palestinien a démontré qu'il était capable de résister aux agressions, fruits des manœuvres de l'impérialisme et du sionisme. A mon avis, les Palestiniens constituent l'un des peuples les plus héroïques de l’époque contemporaine. Je suis absolument certain que leur cause triomphera, en dépit des immenses difficultés qu'ils doivent affronter. Elle triomphera tôt ou tard, envers et contre la trahison de la réaction arabe, les manœuvres de l’impérialisme et les agressions de l'État israélien. Nous resterons toujours fermement solidaires de la lutte du peuple palestinien.

QUATRE-VINGT DIX-NEUF POUR CENT DES SAHRAOUIS EN FAVEUR DE L’INDÉPENDANCE

Fidel Castro s'est prononcé sur le problème du Sahara dans les termes suivants :

Je peux vous dire que lorsque l'ONU a formé une commission chargée de s'occuper du problème sahraoui, Cuba y a participé en vue d'étudier la situation dudit Sahara espagnol. La commission a eu l'occasion de confirmer que 999 Sahraouis sur 1 000 étaient en faveur de l’indépendance. Sur les milliers de personnes interrogées par la commission, seules une ou deux se sont manifestées en faveur de l’annexion du pays au Maroc ou à la Mauritanie. Les autres étaient des partisans énergiques de l'indépendance.

Comme nous avons des relations diplomatiques avec le Maroc, le gouvernement marocain s'est adressé à nous et a demandé à Cuba de soutenir les revendications marocaines.

Notre respect de la justice et des droits fondamentaux des peuples nous a naturellement mis dans l’obligation de refuser. Compte tenu des témoignages et des preuves recueillis par les représentants cubains au sein de la commission de l'ONU, nous ne pouvions ni appuyer ni approuver les ambitions du Maroc. Je suis de l’avis que tout le peuple sahraoui veut l'indépendance. Ce sont d’excellents patriotes et d’héroïques combattants qui, tôt ou tard, atteindront leur objectif. Je crois que le Maroc a commis un véritable crime au Sahara espagnol, qu’il a mené une politique expansionniste et de génocide contre le peuple sahraoui. J'ai récemment reçu des nouvelles selon lesquelles les patriotes sahraouis remportent de grandes victoires dans leur lutte contre les soldats qui occupent leur territoire, ce qui provoque des pertes considérables au sein de l'armée marocaine. Ils ont même détruit quelques avions marocains. Ils se sont admirablement habitués à la guerre en plein désert.

Actuellement, le gouvernement marocain est devenu un véritable gendarme de l'impérialisme et, plus spécifiquement, de l'impérialisme européen. Non content d’avoir commis de véritables crimes contre le peuple sahraoui, le gouvernement marocain envoie aujourd'hui ses soldats se battre contre les peuples d'Afrique noire et se mettre ainsi au service de l’impérialisme, de la réaction et du néo-colonialisme.

LA CHINE : TRAHISON DÉLIBÉRÉE DE L’INTERNATIONALISME ET ALLIANCE AVEC L'IMPÉRIALISME

Fidel Castro a également fait porter ses commentaires et son analyse sur deux autres problèmes importants. D'abord, la Chine. Comment faut-il comprendre la politique chinoise, lui ai-je demandé, une politique qui a profondément déçu les peuples du tiers monde et, en particulier, les peuples d'Afrique, qui en été les victimes ? Comment expliquer la position aberrante de la diplomatie chinoise vis-à-vis de l'Angola, du Zaïre, du Chili de Pinochet et de l'impérialisme nord-américain et européen en général ? La réaction de Fidel Castro a été rapide :

Pendant longtemps, j’ai pensé que la direction politique de la Chine commettait de graves erreurs. Je ne croyais pas qu'elle en viendrait à trahir de façon consciente et délibérée la cause de l'internationalisme et du marxisme-léninisme. Cela me semblait tout simplement incroyable. Je ne concevais pas qu’un pays qui a fait la révolution socialiste sous la direction d'ouvriers et de paysans, pouvait adopter une politique internationale aussi absurde et aussi semblable à celle du capitalisme et de l'impérialisme. Aujourd'hui, je suis absolument convaincu qu'il ne s'agit pas d'erreurs, mais d’une politique délibérée de trahison de l'internationalisme et d’alliance avec l'impérialisme. Il n'est pas un seul aspect de la situation internationale où la politique des dirigeants chinois ne coïncide pas avec celle de l'impérialisme. Les exemples ne manquent pas. Au Chili ils se sont associés à Pinochet et au fascisme. Dans les pays d'Amérique latine, ils soutiennent les éléments les plus réactionnaires et antinationaux. En Afrique on l'a vu en Angola, ils ont appuyé les groupes associés à la CIA et au néo-colonialisme. Il est honteux que les dirigeants chinois en soient arrivés à s'allier aux fascistes, et particulièrement à ceux d’Afrique du Sud, dans l’agression contre l'Angola et le MPLA. Aujourd’hui, ils ont contracté un engagement sérieux auprès du gouvernement du Zaïre, un des plus réactionnaires, néo-colonialistes et répressifs de l'Afrique. Ils approuvent pleinement l'intervention du Maroc, de l'impérialisme français et de l'impérialisme yankee dans les affaires internes du Zaïre, et envoient à ce régime de grandes quantités d’armes légères et lourdes. En règle générale, la politique extérieure chinoise soutient sans réserve le néo-colonialisme en Afrique et la réaction arabe au Moyen-Orient. En Europe, les dirigeants chinois s'associent pleinement à la politique de l'OTAN et de l'impérialisme yankee, ainsi qu'aux partis les plus réactionnaires, comme le Parti démocrate-chrétien d'Allemagne fédérale et le Parti conservateur de Grande-Bretagne, dont les plus hauts dirigeants sont invités à visiter la Chine avec tous les honneurs. En Europe, des groupes fascistes et des groupes dits extrémistes, infiltrés par la CIA, reçoivent des subventions et autres formes d'aide de la part de la Chine. La Chine appuie également la position défendue par la RFA sur la réunification de l'Allemagne, contre la politique et les intérêts de la RDA ; elle défend l'existence de l'OTAN, ainsi que la présence de troupes nord-américaines en Europe. La Chine encourage le chauvinisme et la division au sein du camp socialiste. D’une façon totalement aventuriste et irresponsable, la direction chinoise fomente la guerre entre l’Union soviétique et les États-Unis, tout en essayant d'intensifier la course aux armements et en s'opposant à toute politique de paix. Démentielle, la direction chinoise est incapable de comprendre qu'une guerre nucléaire mondiale de destruction massive serait le suicide de l'humanité. Elle 'calcule que son pays serait le seul survivant d'une telle catastrophe.

La trahison du gouvernement chinois a provoqué une profonde division au sein des forces révolutionnaires mondiales, à un moment où celles-ci étaient sur le point de parvenir à un rapport de forces décisif pour le triomphe du socialisme dans le monde.

La campagne de calomnies déclenchée par les Chinois contre l'Union soviétique est véritablement répugnante. Sans la Révolution d'Octobre et la lutte livrée par l'Union soviétique contre le fascisme, au prix de vingt millions de morts, la disparition du système colonial aurait été inconcevable, de même que le prestige et le soutien dont jouit le mouvement socialiste et progressiste mondial. A cette époque de crise énergétique et de pénurie croissante de ressources naturelles, l’impérialisme n'aurait pas hésité à procéder à un nouveau partage du monde, si l'Union soviétique n'avait pas existé. La Révolution chinoise elle-même n'aurait pas eu lieu.

Cette même politique chinoise est également appliquée en Asie, les revendications territoriales impérialistes japonaises sont appuyées par Pékin face à l'Union soviétique. En réalité, cette politique s'identifie avec la politique réactionnaire menée dans cette région du monde : une politique maladroite, opportuniste, démagogique et cynique.

UNE POLITIQUE INFÂME

Fidel Castro s'est également référé à la politique suivie par la direction chinoise à l'égard de Cuba. Il a notamment signalé :

À l'égard de Cuba, la politique chinoise est véritablement infâme. A l'aide de calomnies aussi répugnantes que mensongères, elle combat la solidarité de notre Parti avec les mouvements de libération, ce qui coïncide exactement avec les attaques de l’impérialisme nord-américain contre notre pays. La Chine s’oppose à la levée du blocus économique décrété contre Cuba par les États-Unis et à la restitution du territoire cubain occupé par les Nord-Américains, soit la base de Guantánamo. De source sûre, nous avons appris que les services secrets chinois travaillaient en étroite collaboration avec les services secrets français, nord-américains et ouest-allemands, ainsi qu'avec ceux de l'OTAN. Si incroyable que cela puisse paraître, nous ne pouvons garder de tels faits sous silence, puisqu'ils sont rigoureusement exacts.

En République populaire de Chine, il s'est récemment produit des événements politiques qui ont conduit à l'élimination de ce qu'on a convenu d’appeler le gang des quatre. Or, nous savons tous que, pendant dix ans, c'est ce gang qui a déterminé la politique et qui, par conséquent, a porté la responsabilité de tous les faits que je viens de signaler. Je me demande comment il a été possible que, du vivant même de Mao Tsé-toung, sa femme et un groupe d'ambitieux aient pu jouir d’autant de pouvoir.

Ou bien Mao était frappé de sénilité absolue à la fin de sa vie, ou alors il n'était pas le génie, le dieu de la révolution que les dirigeants chinois prétendent dépeindre. Je crois sincèrement que tel est, en fin de comptes, le résultat du culte de la personnalité et de la déification des leaders, qu'un véritable communiste rejette catégoriquement.

A notre avis, on ne discute pas en Chine une véritable politique de principes, ou le retour à une politique authentiquement révolutionnaire. Il s’agit simplement, jusqu'à maintenant, d'une lutte répugnante pour le pouvoir.

Toutefois, j'estime que la politique actuelle de la Chine est objectivement absurde, que le peuple chinois n'a aucun avenir dans cette alliance avec l'impérialisme et avec la réaction mondiale Nous croyons dans le peuple chinois. Nous savons bien qu’il s'agit d’un peuple extrêmement dévoué, héroïque et révolutionnaire. Peut-être est-il possible de tromper un peuple comme celui-ci un temps, mais pas tout le temps.

LES RELATIONS AVEC LES ÉTATS-UNIS

Que pense Fidel Castro de la nouvelle administration Carter?

Dans quelles perspectives et quelles conditions pourrait s'effectuer la normalisation des relations avec les États-Unis ?

Les récentes rencontres du premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba avec des sénateurs, hommes d’affaires et journalistes nord-américains laissent-elles présager l'éventualité de la fin de la crise qui a caractérisé les relations entre les deux pays ?

Que pense Fidel Castro de certaines déclarations officielles nord-américaines, selon lesquelles les relations entre Cuba et les États-Unis ne sauraient être normalisées tant qu'il y aura des troupes cubaines en Angola ?

Fidel Castro s'étend sur l'analyse de ces questions :

Le président Carter est le premier président qui, en plus de seize ans, ne s'est pas engagé à mener une politique d’hostilité contre Cuba. Kennedy avait hérité de la politique d'agression préméditée d’Eisenhower ; après son assassinat, Johnson qui se débattait dans les filets de la guerre du Vietnam, suivit la même politique d'hostilité. Quant à Nixon, qui étau vice-président sous l'administration Eisenhower, il était prisonnier de la même politique en raison de sa complicité dans les préparatifs de l'agression contre Cuba, en 1961, et des liens étroits qui l'unissaient aux contre-révolutionnaires et à quelques riches familles d'origine cubaine résidant aux États-Unis. En ce qui concerne l'administration Ford-Kissinger, il faut préciser que ce dernier était un anticubain enragé, qu'il était très hostile à notre pays, et encore plus depuis que Cuba assumait ses devoirs internationalistes en offrant un soutien concret au peuple angolais dans sa lutte contre les agresseurs racistes et impérialistes. C'est ainsi que s'est intégralement maintenu le blocus économique nord-américain contre Cuba pendant seize ans.

Je disais donc que Carter ne s'était pas engagé à suivre la même politique. Nous pouvons même dire qu'il a déjà fait quelques pas :

1) Ses déclarations publiques, dans lesquelles il se prononce en faveur de discussions avec Cuba.

2) Les déclarations du secrétaire d’État Cyrus Vance, selon lesquelles les États-Unis seraient prêts à entamer des discussions avec Cuba sans poser de conditions préalables.

3) L'autorisation concédée aux citoyens nord-américains de visiter Cuba. L'interdiction de ces voyages avait été constamment renouvelée et maintenue au cours des années antérieures.

En outre, je peux ajouter deux faits supplémentaires : nous avons observé que, depuis l'entrée de Carter à la Maison-Blanche, aucun avion nord-américain d'espionnage n'a survolé notre territoire, et nous avons discuté conjointement le problème de la délimitation du droit de pêche dans les limites des eaux territoriales, fixées à 200 milles des côtes.

Nous n'avons pas renouvelé l’accord sur la piraterie aérienne signé avec les États-Unis, car, après le sabotage de l'avion cubain, nous avons dit que nous n'étions prêts à discuter cette question avec les États-Unis que sur la base de l'arrêt total de leur politique d'hostilité à l'égard de Cuba. Le blocus économique de Cuba est un acte d'hostilité très grave. A l’heure actuelle, certains sénateurs nord-américains proposent que le blocus soit levé en ce qui concerne les produits alimentaires et pharmaceutiques. Toutefois, cela ne résout pas le problème. La levée partielle du blocus est insuffisante. Les États-Unis commercent avec la Chine, avec l'URSS et avec les autres pays socialistes. À quoi faut-il donc attribuer cette discrimination arbitraire contre nous ? Toutefois, je le répète, en dehors de la question du droit de pêche, il n'existe actuellement aucune négociation entre nos deux pays.

LA RESPONSABILITÉ DES ÉTATS-UNIS

Il est vrai qu'avant d'être élu, Carter a assumé des positions dignes d’être mentionnées comme, par exemple, la critique qu'il a faite de ce qui s’est passé au Chili et celle de la politique de Nixon en ce qui concerne le gouvernement de l’Unité populaire d'Allende. Il a également affirmé qu’il était disposé à chercher une solution au problème du canal de Panama. Sa ligne politique en Afrique australe est nuancée par rapport à celle de ses prédécesseurs. Il reste encore à voir comment cette politique de Carter va se matérialiser. Nous devons suivre tout cela. Ce que je veux dire plus précisément, c'est qu’avant les élections, Carter avait adopté des positions plus variées que Ford, un peu plus critiques quant au cours de certains problèmes internationaux. Nous devons attendre pour voir comment il va agir... Pour Cuba, le problème clé réside dans le blocus économique qui lui a été imposé. Il ne s'agit pas de le supprimer partiellement. Pour créer un climat favorable à l'amélioration des relations avec les États-Unis, il est indispensable que soit entièrement levé le blocus économique, aujourd'hui insoutenable et totalement discrédité.

Dans cet ordre d'idées, comment ne pas tenir compte de l'agression de 1961, des attaques terroristes, des activités subversives de la CIA, des plans d'assassinat des leaders révolutionnaires cubains, de la guerre épidémiologique qui a décimé la moitié de notre élevage porcin, victime d'épidémies provoquées, de maladies introduites par des agents de la réaction dans notre aviculture ? Que dire également des actes de sabotage et de terrorisme réalisés par la CIA, avec la complicité du Chili, de Porto Rico, du Nicaragua, qui émettent des passeports et facilitent les déplacements des contre-révolutionnaires qui ont fait exploser notre avion et qui attaquent nos ambassades et nos consulats ? La responsabilité de tout cela incombe principalement aux États-Unis. Ces actions dirigées contre Cuba doivent cesser. Par ailleurs, les Nord-Américains sérieux comprennent qu'il s’agit d'une politique criminelle, insensée et discréditée, qui ne saurait durer très longtemps. Nous avons autorisé le séjour dans notre pays de touristes, de personnalités, d'hommes d’affaires, de journalistes, parce qu'il aurait été incorrect de notre part d'interdire ces séjours alors que les États-Unis viennent de lever les restrictions qui pesaient sur eux.

Il y a deux ans, après la démission de Nixon, les Nord-Américains ont demandé à entrer en contact avec nous. Ces contacts ont eu lieu et nous ont permis d'exposer clairement que nous n’étions pas disposés à entamer des négociations tant que le blocus ne serait pas levé. Ces contacts se sont limités à cela. Sans plus. Aujourd'hui, nous restons encore sur ces positions. Et je tiens à vous dire pourquoi. La raison est fondamentale. Nous n'avons pas imposé de blocus aux États-Unis Nous ne possédons pas de base navale aux États-Unis. Nous ne pratiquons ni la subversion ni l’espionnage aux États-Unis. Aussi estimons-nous que la condition nécessaire à toute négociation est la levée du blocus économique. De notre point de vue, cette position est très juste, car, autrement, nous n'arriverions à rien. Nous admettons l'éventualité de contacts permettant de préciser cette position. Des contacts, mais non pas ces discussions.

Autrement dit, nous sommes d’accord pour aborder les problèmes qui existent entre nous, à partir du moment où le blocus sera levé. Permettez-moi de vous dire une chose : je ne crois pas que les contradictions existant entre le capitalisme et le socialisme se résolvent par la guerre. Nous ne vivons plus à l’époque de l'arc et des flèches, mais à l’ère nucléaire. Une guerre pourrait signifier la fin du monde. D’une façon ou d'une autre, les nations à régimes sociaux différents devront apprendre à coexister.

D'après certaines déclarations faites par des personnalités nord-américaines, ai-je fait remarquer à Fidel Castro, les relations entre Cuba et les États-Unis ne pourraient se normaliser tant qu'il y aura des troupes cubaines en Angola. Le leader cubain a immédiatement abordé la question :

Soyons clairs et précis : jamais nous ne négocierons avec les États-Unis notre solidarité avec l'Angola. Ces questions-là ne se négocient pas. Ne serait-il pas absurde que, de notre côté, nous nous mettions à exiger le retrait des troupes nord-américaines stationnées en Europe, en Corée du Sud, aux Philippines, au Japon ou en Arabie Séoudite ? Il est réellement inconcevable que les États-Unis posent des conditions de cette nature. Nos positions sont claires et dépourvues de toute ambiguïté.

NOTRE RÉVOLUTION NE SE CORROMPRA JAMAIS

N’y a-t-il pas des risques à accepter l'arrivée de touristes nord-américains, et plus encore lorsque les personnes qui veulent visiter Cuba se comptent par milliers ? Fidel sourit et répond avec un plaisir évident :

Oui, s'il le faut, nous recevrons ces touristes. Nous courons peut-être le risque qu'ils arrivent à corrompre une infime partie de la population. Néanmoins, notre Révolution ne se corrompra jamais. Et si tel est le prix qu'il faut payer pour montrer ce que le socialisme a fait à Cuba, ce qu'un pays communiste comme Cuba a pu réaliser en quelques années seulement ; si nous pouvons contribuer à l’élimination du spectre utilisé pour que le communisme fasse peur aux gens, nous estimons alors que le risque est insignifiant.

Il est important que les touristes européens et nord-américains puissent se faire sur place, à Cuba, une idée correcte et réelle de ce qui se passe dans notre pays et des réalisations menées à bien par un régime socialiste en si peu d’années. Ils verront que le cliché d’une propagande faite de calomnies et de mensonges est dépourvu de toute valeur. Ils constateront à quel point le peuple cubain admire les militants du Parti communiste, l'esprit rigoureux et l'absence de privilèges qui les caractérisent, la qualité et la dimension des sacrifices qu'ils consentent. Ils verront que tout le peuple éprouve un profond respect pour le Parti communiste, parce qu’il sait qu'il n’existe en son sein ni opportunisme, ni corruption, ni libéralisme.

Lorsqu'a éclaté la seconde guerre de libération de l'Angola, les militants communistes ont été les premiers à vouloir s'enrôler, et ils sont partis pour contribuer à la défense, à la consolidation et au triomphe de la Révolution angolaise, tout en sachant qu’ils allaient s'éloigner de plusieurs milliers de kilomètres de leur pays et assumer une tâche très dure et très difficile.

L’interview a duré beaucoup plus longtemps. J'y consacrerai probablement un autre article. Ce qui m'a le plus impressionné au cours des dix jours que j’ai passés à Cuba c'est l’absence totale de culte de la personnalité. On voit rarement la photo de Fidel dans la presse cubaine et, au cours de ces dix jours, je ne l'ai vue qu'une fois. Son portrait ne préside jamais les administrations gouvernementales, les bureaux et les places publiques. Par contre, il est exact qu’on voit d’immenses portraits de Ché, de Lénine, de Marx et d’Engels. Toutefois, le véritable esprit de travail collectif, l'absence de tout pouvoir personnel et de ses conséquences — en dépit de l'immense popularité et du prestige dont jouit Fidel — semblent caractériser l'attitude et le comportement de tous les membres du Bureau politique et du Comité central du Parti communiste de Cuba que j’ai eu l’occasion de rencontrer.

Peut-être est-ce là l'une des choses qui impressionnent le plus le visiteur étranger à Cuba et, lorsque j'ai exprimé ma surprise, Fidel Castro m'a rappelé cette phrase historique de José Marti, apôtre et martyr de la libération du peuple cubain et aussi de celle des peuples hispano-américains, dont la vie et l’œuvre ont été fortement marquées par l’internationalisme, l’américanisme et l'anti-impérialisme : « Toutes les gloires du monde tiennent dans un grain de maïs », ce qui signifie que les hommes meurent, mais que leurs œuvres restent.

Et le peuple cubain, qui, en dépit de tous les obstacles, construit dans son pays un socialisme exemplaire, et qui manifeste concrètement sa solidarité internationaliste avec ceux qui luttent pour une véritable indépendance et pour l'élimination définitive de tous les jougs, en est une preuve vivante.

Que Cuba serve d'exemple à tous les pays qui ont à souffrir l’oppression, l’exploitation et la domination étrangère.

12-5-77

Lieu: 

Hotel Habana Libre, La Habana, Cuba

Date: 

23/04/1977