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Rarement un chef d’Etat ne fut aussi brillant

Date: 

12/01/2017

Source: 

Granma Internacional

Auteur: 

DANS sa lettre d’adieux passionnée qui nous bouleversa tous, Ernesto Che Guevara évoquait Fidel comme l’homme d’État invaincu de la Crise d’Octobre de 1962. Son esprit rebelle se révéla une nouvelle fois en 1963, de façon non moins dramatique, lors de la première visite de Fidel en Union soviétique, où le peuple de Moscou, débordant d’enthousiasme, l’acclama dans les rues.
 
Le leader cubain était arrivé le 29 avril 1963 à Mourmansk, une ville portuaire dans l’extrême nord – encore sous le gel malgré l’arrivée du printemps –, de l’immense URSS. La réception officielle et populaire que lui réservèrent Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev eut lieu le 30 avril dans la capitale. C’était le premier voyage de Fidel en Union soviétique, où il fut accueilli par Anastase Mikoyan, vice-premier ministre qui, quelques mois plus tôt, durant la Crise des missiles, avait tenté de calmer le commandant en chef de la Révolution.
 
En effet, en novembre 1962, le dirigeant soviétique s’était rendu à Cuba pour tenter de justifier la décision de l’Union soviétique de retirer les missiles. Alors qu’il essayait d’attirer l’attention du commandant rebelle, le grondement des avions de chasse volant à basse altitude interrompait l’insolite monologue. Dans une ambiance internationale tendue, que l’annonce du retrait des missiles n’avait pas réussi à calmer, l’Île tout entière était quadrillée par les vols en rase-motte des avions de combat US.
 
Fidel se leva énergiquement et s’exclama : « Il ne leur reste plus qu’à descendre prendre un café ! Nous ne pouvons plus tolérer ce genre de choses. Je vais les avertir que nous allons les abattre s’ils continuent ces provocations ! ». Les vols en rase-motte furent interrompus.
 
À aucun moment, il n’avait dissimulé sa colère dès l’instant où Khrouchtchev avait annoncé, le 28 octobre, le retrait des missiles installés à Cuba, en plus d’avoir proposé la possibilité d’envoyer des inspecteurs de l’ONU pour le vérifier.
 
Or, de telles prétentions se heurtèrent à l’esprit indomptable du « barbu », qui déclara que s’ils voulaient inspecter le pays ils devraient venir prêts au combat, et il annonça aussitôt une plateforme de cinq points visant à garantir une paix véritable :
 
1) L’arrêt du blocus économique et de la pression commerciale.
 
2) L’arrêt des activités subversives, des invasions de mercenaires, des infiltrations d’espions et de saboteurs.
 
3) L’arrêt des attaques pirates depuis les États-Unis.
 
4) L’arrêt des violations de l’espace aérien et naval.
 
5) Leur retrait de la Base navale de Guantanamo et sa restitution à Cuba.
 
FIDEL FIT TREMBLER LE KREMLIN
 
Ce jour-là, le 30 avril 1963, immédiatement après l’impressionnante démonstration d’affection du peuple moscovite dans les rues, Nikita Khrouchtchev se leva dans le majestueux Kremlin pour porter un toast. La réponse de Fidel Castro ne se fit pas attendre. Il regarda avec attention autour de lui et déclara: « Je ne peux m’empêcher d’exprimer mon désaccord avec la façon dont les missiles soviétiques ont été retirés de Cuba. Nous n’avons pas été consultés et des accords ont été pris à notre insu, alors que notre terre avait été le théâtre potentiel d’une guerre nucléaire. » Nikita, agité, l’interrompit : « Nous avons pris cette décision pour éviter une attaque contre Cuba et nous avons réussi à préserver la paix ! »
 
Fidel répondit alors avec fermeté : « Vous n’avez obtenu qu’une paix précaire, car il n’existe pas de vrai engagement. Si vous nous aviez consultés, nous aurions obtenu beaucoup plus. Nous aurions obtenu une paix véritable et d’autres objectifs »,
 
Il semblait que la première visite du leader cubain allait s’achever sur un échec. Personne n’osait dire un mot…
 
LES ÉTATS-UNIS PRÉPARAIENT l’INVASION DE CUBA
 
On sait, de sources soviétiques et nord-américaines, qu’en 1962 les États-Unis disposaient de 377 missiles stratégiques et en fabriquaient 1 000 autres. L’armement basé en Turquie et en Italie donnait la supériorité aux États-Unis, car depuis ces positions, les missiles pouvaient atteindre l’Union soviétique en 15 minutes, alors que les 44 missiles intercontinentaux soviétiques tarderaient 25 minutes à atteindre les États-Unis. Par ailleurs, l’URSS ne disposait que de 373 missiles de moyenne portée et 17 de portée intermédiaire.
 
L’installation de 42 missiles de moyenne portée et de portée intermédiaire à Cuba aurait réduit considérablement la différence et fourni des moyens défensifs contre une invasion directe imminente des États-Unis, ce que savaient fort bien les Soviétiques et les Cubains qui se préparaient dans l’urgence.
 
À ce propos, Fidel a déclaré qu’il avait considéré la proposition de Khrouchtchev d’installer des missiles nucléaires à Cuba comme le renforcement de la capacité défensive de tout le camp socialiste, y compris Cuba, et que ce fut la raison essentielle qui l’amena à accepter cette proposition, même s’il n’en ignorait pas les risques. Il proposa de rendre l’accord public, en se basant sur le droit à la défense par tout moyen militaire, comme il l’exprima ouvertement dans une déclaration.
 
Nikita Khrouchtchev avait insisté auprès du commandant Raul Castro – qui se trouvait en URSS pour signer l’accord –, pour retarder le moment de le rendre public et en attendant, de nier tout accord. En ces journées de 1962 un Congrès international du Conseil mondial de la Paix se tenait à Moscou.
 
En octobre 1962, John Kennedy et Khrouchtchev se mirent d’accord pour éviter l’affrontement, mais à condition qu’une inspection internationale veille au retrait des missiles. Fidel refusa catégoriquement toute inspection.
 
Dans la nuit du 23 octobre, le président nord-américain décréta un blocus naval, en déclarant que ces missiles, munis d’ogives nucléaires, étaient des armes offensives, et il plaça toutes les forces armées US en état d’alerte maximale pour la première fois de l’Histoire. Jamais le monde ne fut aussi près d’une guerre nucléaire. Entre-temps, les Cubains répétaient en guise de plaisanterie : « Tout à coup, tu disparaîtras de ma vue… »
 
Le 26, Khrouchtchev proposa en privé de retirer les missiles en échange de la promesse nord-américaine de ne pas envahir Cuba. Mais Kennedy insistait sur l’inspection.
 
Dans une action surprise, l’artillerie anti-missile soviétique abattit alors un avion U2 qui volait au-dessus de Banes, dans l’est du pays. Dans un climat de plus en plus tendu, le président Kennedy écrivit une lettre, dont on pourrait faire plusieurs lectures : elle était menaçante et tolérante à la fois, tentant de laisser voir que cet acte pourrait ne pas avoir été ordonné par Khrouchtchev, qui était en pleine négociation. Le fait pourrait avoir échappé à son contrôle.
 
Le 28, Khrouchtchev accepta les termes de Kennedy et en informa Fidel, qui ignorait que des conversations secrètes étaient en cours. Le commandant en chef déclara que la nouvelle avait provoqué à Cuba « une grande indignation car nous nous sentions comme une sorte de monnaie d’échange… Nous avons appris le 28 la nouvelle que des accords avaient été signés ». La réaction du peuple ne fut pas de soulagement, mais de profond malaise.
 
MIKOYAN NE PARVINT PAS À CALMER FIDEL
 
U Thant, le Secrétaire général de l’ONU, se rendit à Cuba et, face au refus de Fidel d’accepter l’inspection, déclara que le dirigeant cubain était dans son droit de refuser, les Nations Unies ne pouvant pas l’y obliger. Face à cette situation, le 2 novembre, Khrouchtchev dépêcha Mikoyan pour tenter de convaincre Fidel. En vain.
 
Finalement, après 3 semaines à Cuba, Mikoyan proposa de réaliser l’inspection sur les navires. Fidel lui répondit que c’était un problème de l’Union soviétique. Conclusion : il y eut une inspection des navires, mais pas sur l’Île. Cuba émergea plus forte et en inspirant encore plus de respect de cette crise. La doctrine militaire cubaine devint celle de la résistance nationale en cas d’occupation du territoire. Le temps a démontré l’actualité des convictions de Fidel.
 
Trois années après le retrait des missiles, la lettre d’adieux d’Ernesto Guevara rappelait ces événements : « J’ai vécu des jours magnifiques et j’ai éprouvé à tes côtés la fierté d’appartenir à notre peuple en ces journées lumineuses et tristes de la Crise des Caraïbes. Rarement, un chef d’Etat ne fut aussi brillant dans de telles circonstances ». En effet, déjà à cette époque, le leader guérillero du peuple cubain faisait partie des grands hommes d’État de l’Histoire.